Garder son sang-froid... ou le perdre ?

Il émergea lentement… Très lentement.
Son corps tout entier l’élançait, comme si un courant électrique le traversait. Toutes ses connections nerveuses étaient à fleur de peau et il sentait l’énergie glisser jusqu’au bout de ses orteils, rapidement, comme lorsqu’on branche un fil dans une prise et qu’on allume la lumière. C’était comme un flash et il eut un spasme soudain, son corps se soulevant brutalement pour retomber sans aucune grâce sur une table dure.

Il grimaça et sentit soudain une main se poser sur son bras. Il s’en saisit avec rudesse, s’accrochant à elle comme pour pallier à l’électrochoc que subissait son corps.

« Calmez-vous… Tout va bien aller… Nous sommes là. »

Et comme si ces simples paroles avaient le pouvoir de lui transmettre la vie, il aspira l’air goulument, sa gorge émettant un son rauque qui le brûla avec intensité. Il ouvrit alors brutalement les yeux… et les referma aussitôt, ébloui par la lumière de la pièce.
Une main se posa sur son visage, juste au-dessus de ses yeux et la voix reprit, toujours aussi douce et assurée :

« Tout va bien aller. Ouvrez doucement les yeux, habituez-vous à la lumière… »

Il obéit presque machinalement, conscient que seule cette voix pouvait l’aider. Lentement ses paupières s’ouvrirent et il grimaça juste le temps de s’habituer, de réapprendre à tolérer la lumière excentrique que lançait un néon agressif au-dessus de lui.
Sa poitrine se soulevait lentement, régulièrement maintenant que la première bouffée avait été aspirée, et le corps semblait fonctionner normalement.

Alors les deux prêtres se lancèrent un regard satisfait : ils avaient fait du bon travail.

« Il est revenu. »
« Oui. »

Ils baissèrent leurs yeux vers Luc et… l’un d’eux fronça soudainement les sourcils : un détail le choquait et il lui fallut quelques secondes pour se rendre compte de ce qui n’allait pas.

« Regarde… Il y a un problème. »
« Comment ça un problème ? »
« Monsieur Laa nous avait bien parlé de son… grand frère, n’est-ce pas ? »
« …. Zut. »

Ce fut sur ces paroles étranges que Luc se réveilla totalement et émergea dans la réalité… Comme on émerge des couettes après un long rêve.
Et contrairement aux visages sombres et inquiets auxquels il s’attendait, il aperçut deux hommes souriants qui se penchaient vers lui, apparemment ravis de le voir réveillé.

Il y avait une règle stricte au Temple d’Eronis : on avait droit à l’erreur mais alors… il fallait faire comme si de rien n’était.
Et ces deux prêtres excellaient dans ce domaine. Justement.

« Monsieur Darayan, bienvenu parmi nous ! »
« Je vais prévenir votre frère, il était tellement impatient de vous revoir. »
« Hein.. ? Quoi… ? Je… Qui ? »

Le prêtre lui sourit et le rassura tout en l’aidant à se redresser, soutenant ce corps nouveau qui avait du mal à se réveiller.

« Votre frère. Mais ne vous inquiétez pas, il vous expliquera tout lui-même. Si vous ne vous souvenez pas, c’est normal monsieur Darayan. Mais ne vous inquiétez pas surtout, tout va bien se passer. »

Alors ça, c’était un point de vue totalement subjectif !! Parce que selon lui… C’était la cata absolue !!!
Où était-il, qui étaient ces gens, qui était… ce frère dont on lui parlait, et… il avait un frère lui ?
Mais au fait… qui était-il ?

Il arpentait la salle d’un pas nerveux, les mains derrière le dos et le visage renfrogné. Les Servants qui passaient lui jetaient des coups d’oeils amusés, chuchotant entre eux :

- On dirait un papa qui attend la fin d’un accouchement !

Il s’agissait plus ou moins de cela. Les humains ne venaient-ils pas à Eronis pour faire naître quelqu’un à une seconde vie ?
Oui, certes. Mais tout est relatif.
Si le tueur sanguinaire bien nommé Sang-Min se trouvait sur l’île censée restituer aux gens leur bonheur perdu, il ne s’agissait pas d’un miracle. La pensée de l’argent qu’il allait recevoir pour le succès de sa mission ne quittait pas son esprit, le motivait à patienter encore un peu.

Etrangement, il sentait quelque chose peser dans sa poitrine. Ce fait l’intriguait. Normalement, il ne s’angoissait pour rien. Sans doute que l’idée saugrenue de revoir marcher un être qu’on venait d’assassiner parvenait à troubler quelqu’un d’aussi indifférent que lui.

D’habitude, Sang-Min oubliait immédiatement le visage de ceux qu’il tuait. Au moment même où il pressait la détente ou qu’il enfonçait la lame, son âme devenait aussi irréductible que la pierre. Et quand il constatait la mort de la cible, son cerveau enfouissait dans ses profondeurs obscures toute image en rapport avec celle-ci. Mais bizarrement, le visage du scientifique refaisait surface, avec ses rides, son regard sage soudainement attristé quand il avait compris pourquoi Sang-Min était entré dans son laboratoire. Oui, si chez d’autres victimes on avait pu lire de la terreur, de la supplication, l’expression de Luc Darayan était restée... peinée. Comme s’il se doutait de ce qui allait lui arriver, mais qu’il était déçu de voir confirmer la méchanceté du monde.

Non. Sang-Min ne se serait jamais souvenu de cela si la mission s’était terminée correctement. Mais là, devant continuer de s’occuper du cas de ce satané scientifique, il rebranchait ses neurones à son sujet, voilà tout.

Il nous faut absolument récupérer la formule que Luc Darayan a caché dans son cerveau avait déclaré son employeur.

Ils n’auraient pas pu envisager ce fait avant d’envoyer un tueur ?! Sang-Min s’était renseigné sur lui lorsqu’il avait été chargé de la première mission : Luc Darayan possédait un intellect exceptionnel. Pourquoi ses employeurs l’avaient-ils sous-estimé ?

Et maintenant, qui doit rattraper leurs erreurs, hein ? Chuis la bonne poire, quoi !

Il s’arrêta de tourner en tous sens pour aller s’adosser à un pilier, bras croisés, yeux clos, essayant de calmer son léger courroux. Il devrait faire preuve de patience et de délicatesse, pour mener à bien sa mission. En somme, cela constituait le meilleur des défis. Il n’en apprendrait que davantage sur le raffinement de son métier, et mesurerait ses talents.

Il ébouriffa ses sombres cheveux raides et rouvrit les yeux quand une porte coulissa.

- Monsieur Laa ? C’est accompli.

Tout simplement ? Ces gens-là venaient de ressusciter un type dont le corps avait été anéanti dans un incendie, et ils venaient dire en souriant « c’est accompli » comme pour dire « le repas est servi » ?! Sang-Min ne croyait pas encore en les pouvoirs légendaires de cette île. Il voulait voir de ses propres yeux.

- Vraiment ? Est-ce que... je peux... euh...

- Bien sûr, monsieur le sceptique répondit le Prêtre en souriant, Venez, venez, il approche.

Le tueur se détacha de son pilier pour s’avancer vers la porte, et aperçut une silhouette marchant à sa rencontre, entourée de plusieurs Servants aux airs sympathiques.

Sang-Min ne nota pas tout de suite la taille apparente de la silhouette, il se rappelait vaguement d’un petit homme vieilli et soucieux aux épaules courbées. Comment allait-il le regarder, cette fois-ci, alors qu’il venait d’être ramené à la vie.. ? Evidemment, ses employeurs lui avaient assuré qu’il ne se souviendrait pas de sa mort, car c’était un passage trop brutal... Mais Sang-Min ne pouvait pas s’empêcher de se demander de quelle façon, cette fois, Luc Darayan allait le regarder.

On l’avait aidé à se relever, à faire fonctionner ce corps qui semblait soudain rouillé et aussi dur que du béton. Les prêtres lui avaient souri comme on sourit à un enfant, avec cette gentillesse qui semblait les caractériser, et lui avaient assuré que d’ici peu, il retrouverait très vite l’usage habituel de son corps…
Très vite… Luc espérait que cela soit encore plus rapide que ce qu’ils prévoyaient, parce que sincèrement, se déplacer avec l’aide de quelqu’un comme s’il était un petit vieux, c’était vraiment désagréable !

D’ailleurs les Servants notèrent parfaitement sa petite moue ronchonne, et ils rirent sous cape, essayant de ne pas vexer un peu plus Luc. Doucement ils l’aidèrent à avancer, et pas à pas, son corps sembla retrouver un certain automatisme, un peu plus d’aisance dans ses mouvements, comme si finalement il avait toujours su. Et quand enfin il commença à avancer plus rapidement et avec d’avantage d’assurance, Luc arbora un sourire triomphant, d’autant plus que les Servants le félicitèrent et continuèrent à l’encourager.

C’est sans doute dans un de ces mouvements que son regard croisa un éclat brillant. Attiré, Luc se dirigea prudemment vers le miroir et se planta devant, sans peur et sans reproche.
Il ne savait pas ce qu’il faisait ici, il ne savait absolument pas qui étaient ces gens, mais une chose était sûr… Il y avait quelque chose qui n’allait pas avec son corps : la manière dont il se déplaçait était un signe, et laissant son imagination vagabonder, Luc se demandait si par hasard il n’aurait pas eu un accident quelconque, qui aurait fortement endommagé son corps et qui expliquerait ce qui se passait en cet instant. Certes l’endroit ne ressemblait pas vraiment à un hôpital, et ses gens n’étaient pas médecins, mais qui sait ?

Alors Luc lança son regard sur le miroir et laissa son reflet lui raconter ce qui s’était passé.
Et c’est avec un soulagement sans borne qu’il aperçut un jeune garàon fier et plutôt joli à regarder en face de lui : aucune affreuse cicatrice, aucun membre en moins ou autre infirmité. Son corps était intact, et apparemment en bonne santé.

Les Servants derrière lui le laissèrent faire, sachant pertinemment que cela ne servait à rien de l’en empêcher. Il aurait tôt ou tard finit par se regarder dans un miroir.

Un petit sourire satisfait et un peu orgueilleux se dessina sur les lèvres de Luc : tout allait bien ! Tout allait même plus que bien !
Il se rapprocha du miroir et se regarda de plus prés sous les yeux habitués des Servants : aussi bizarre cela puisse-t-il paraître, les Réincarnés qui rajeunissaient ne semblaient jamais rejeter leur nouveau corps. Il en allait différemment lorsqu’il s’opérait des changements physiques considérables, mais dans les cas des rajeunissements, les gens acceptaient sans broncher leur corps, et sans même se considérer étrangers. Ils se reconnaissaient dans ce qu’ils voyaient et l’acceptaient comme s’il en avait toujours été ainsi. C’était surprenant, mais s’expliquait sans aucun doute grâce à la mémoire du cerveau.
Et c’était exactement ce qui était en train de se passer avec l’adolescent d’une quinzaine d’année qui se tenait fièrement debout devant le miroir et se regardait à la recherche probablement d’une quelconque cicatrice.

« Allez venez monsieur Darayan, votre frère vous attends. »

Doucement on l’obligea à se séparer de son reflet et on le conduisit vers la sortie, quittant cette salle où il ne reviendrait probablement jamais. Les portes s’ouvrirent et Luc, un peu curieux tout de même, chercha celui qu’il pouvait qualifier de « frère » parmi les visages.
Un des prêtres s’avança et tendit la main vers un « vieux » aux traits asiatiques, qu’il présenta rapidement :

« Luc, voici votre frère Leï Laa. Il est venu spécialement ici pour vous revoir. »

Mais face au sourire du prêtre, Luc répondit par une mine épouvantée et il s’écria avec énergie, comme s’il retrouvait soudainement l’usage de la parole :

« Hein ? Mais c’est pas possible, vous avez vu comme il est vieux !! Il ne peut pas être mon frère !! »
« Luc s’il vous plaît… »
« Ah non, je veux pas de lui !! En plus il ne me ressemble pas du tout ! Je ne veux pas de lui vous entendez, je veux pas !! »

Une véritable crise d’adolescence en plein milieu du Temple, et même le prêtre ne pu s’empêcher de sourire quand le gamin insolent cria de plus belle :

« Il a au moins cinquante ans !! Et vous avez vu sa tronche ? Ah non, ce n’est pas mon frère, ÇA ! »

Et le doigt qu’il pointa sur Sang-Min signifiait suffisamment tout le mépris qu’il accordait au « ça » en question…

En apercevant le jeune adolescent qui marchait vers lui avec hésitation, Sang-Min ne put que hausser les sourcils d’étonnement. Il y avait erreur sur la personne. Comment un gamin aux allures d’éphèbe pouvait être confondu avec un type de la quarantaine ? Comment ces cheveux au roux vif pouvaient-ils avoir un quelconque lien avec ceux du scientifique, secs et blanchis par le souci ?

Ces Prêtres, quels abrutis ! Et pourtant, ils poussèrent le gosse vers lui d’un air confiant et engageant. Non... impossible de croire à cette mascarade, on l’avait dupé ou quoi ? Aucun rapport avec son ex-cible ! Le tueur n’avait pas rêvé, il avait bel et bien assassiné un homme d’âge mûr !

Que faire ? Comment réagir ? Sang-Min ressentit le désir pressant de téléphoner à ses employeurs, mais évidemment cela paraîtrait louche. Il devait jouer la comédie jusqu’au bout, même si elle lui semblait parfaitement ridicule. On lui amenait un total inconnu, il se retrouvait exactement dans la position de Leï Laa, sa fausse personnalité !

Bon... je dis qu’il y a erreur et je me casse ? Ce n’est pas moi qui ai mal travaillé, c’est eux qui ont gaffé, non ?

Mais s’il s’en allait maintenant, il ne verrait jamais la somme qu’il avait indiquée à ses employeurs après leur naïf « votre prix sera le nôtre ». Il avait besoin de ce milliard pour partir se distraire quelques temps dans les îles du Pacifique, à bord d’un yatch, entouré d’hommes sexy, à se gaver de soleil et de mets exotiques... Le cliché total, quoi. Mais quand on avait grandi dans les rues, on ne visait que l’essentiel de la vie : la survie et le plaisir.

Ok, ayons l’air heureux, puisque c’est pour le boulot...

Il allait essayer de sourire quand, brusquement, les cris du soi-disant Luc lui figèrent les traits.

Que... quoi ?
« Vieux » ? « Ça » ?

Sang-Min eut l’impression d’entendre chuter, tout autour de lui, sa confiance et sa dignité. Son teint blêmi d’une façon étrange, et il fronça les sourcils comme il se l’était interdit de le faire durant cette mission.
Oser appeler « vieux » un charmant et fougueux garçon tel que lui !

- J’ai pas encore atteint la trentaine, le mioche, alors tu la boucles !

Les Prêtres firent des yeux ronds. Sang-Min se mordit la lèvre inférieure, gêné. Et voilà qu’il ne maîtrisait pas un simple agacement ! Que se passait-il donc ? Normalement, il devrait hausser les épaules en lâchant un « pff » dédaigneux, comme tout bon méchant qui se respecte devait le faire ! Alors pourquoi cette réaction presque puérile, ce trouble inconnu.. ?

Il se passa la main dans ses cheveux gominés, prenant une profonde inspiration. Il fixa le « Luc » de ses yeux étroits et sombres, comme pour tenter de l’intimider, et ajouta d’une voix adoucie :

- Si, Luc. Je suis ton frère.

Pourtant, il était parfaitement d’accord avec le gosse : il aurait préféré se trouver à des milliers de kilomètres de là, niant tout lien avec cette histoire qui devenait burlesque ! Et comment accepterait-il d’avoir un frère aussi pénible, même pour de faux ?!

Il se tourna vers les Prêtres.

- C’est quoi ce morveux braillard, je vous avais demandé mon grand frère !

- Nous vous affirmons qu’il s’agit bien de Luc Darayan, scientifique de renom...

Sang-Min avisa d’un air perplexe le visage de poupon.

- Disons que Mr Darayan a... comment dire... rajeuni.

- Je vois. Ça vous arrive souvent, ce genre de bourdes ?

Il se heurta au sourire impeccablement professionnel des Prêtres, qui ne trouvèrent rien à répondre. Le tueur soupira. Même s’il ne s’agissait pas de son ancienne cible, il devait jouer le jeu jusqu’au bout.

- Très bien, je vous remercie... Quel bonheur de te rencontrer enfin, Luc !

Il se pencha vers l’adolescent en lui décochant un sourire dégoulinant d’hypocrisie, et lui ébouriffa légèrement les cheveux.

- Allez, à partir de maintenant tu viens vivre avec ton pet... ton gr... bref, ton frère !

- Je vous rappelle qu’il sera impossible à Mr Darayan de sortir de l’île d’Eronis, monsieur Laa. C’est vous qui devrez vivre ici, avec lui.

Sang-Min avait oublié ce fait, pourtant précisé à l’avance lors de la discussion avec le Grand Prêtre. Et zut. Voilà qu’il était obligé de passer un temps indéterminé à l’autre bout de la Terre, en compagnie d’une victime réincarnée dans le corps d’un gamin ? D’un gamin insolent, en plus... Ça ne faliciterait pas les choses.

- Evidemment. On va vivre ici, ensemble. Qu’est-ce que tu en dis, Luc ? On va apprendre à mieux se connaître, et tout. Bon, on y va ?

Il força son sourire à sembler plus naturel, légèrement radieux. Radieux, oui, à la pensée des billets amoncelés sur son compte en banque.

Il s’était vu dans la glace, il savait parfaitement qu’il avait la peau blanche et les yeux légèrement en amande. Il savait qu’il avait de beaux cheveux roux et qu’il ressemblait à n’importe quel européen.

Alors quand on venait lui affirmer qu’il avait des liens familiaux avec cet homme à la peau légèrement hâlée, aux yeux bridés et aux traits asiatiques, il ne pouvait que hurler au mensonge ! Comment pouvait-il avoir un frère qui, en dépit de son âge drôlement avancé, venait incontestablement d’Asie ? Ces types racontaient n’importe quoi, c’était totalement impossible !

Et Luc l’affirma haut et fort, avec toute l’attitude bête et bornée qu’un adolescent de 14 ans pouvait avoir. Il n’en démordrait pas : ce type n’était pas son frère !! Il y avait incompatibilité manifeste là quand même ! Qu’on arrête de le prendre pour un demeuré !

Et visiblement, ses propres hurlements eurent un écho… Quand l’asiatique s’écria qu’il n’avait que la trentaine et qu’il devait la boucler, Luc se figea et écarquilla les yeux, outré. Comment osait-il lui dire cela ? De quel droit ? Il faisait… ce qu’il voulait !! Un point c’est tout !
Luc fulmina sur place, serrant les poings et devenant rouge de rage : du vieux scientifique sage et imperturbable, on était revenu à un gamin énergique et impulsif, qui n’obéissait qu’à une seule loi : la sienne ! Et il comptait bien le crier sur tous les toits !
Luc en était revenu à l’âge ingrat de la crise de puberté… Sous les yeux plus qu’amusés des Prêtres qui tentèrent de rester dans le ton et poli face à Léi Laa qui accusait plutôt mal le choc.

Et quand ce dernier affirma qu’il était bien le frère de Luc, ce dernier eut une petite moue ironique et scanda en croisant les bras :

« C’est ça, et moi je suis le Père Noël ! »

Peut-être aurait-il pu en rester là… Peut-être, parce qu’on ne savait jamais vraiment ce qui se passait dans la tête d’un môme de cet âge, mais quand Sang-Min eut l’imprudence de le traiter de « morveux braillard » devant toute l’assemblée, Luc déterra pour de bon la hache de guerre. Alors là… Il allait l’entendre le frangin !! Raaaah, il le détestait déjà !!

Il n’écouta rien de la conversation et garda un regard fixe sur Léi Laa, bien décidé à se venger de cet affront redoutable. Et quand ce dernier changea subitement de ton, déclarant qu’il était heureux de le retrouver et jouant soudain sur une palette de sentiments étranges qui n’avaient plus rien à voir avec la moue dégoûtée qu’il avait eu au début, Luc vit clair dans son jeu : il se foutait de lui !!
Il eut un mouvement brusque de la tête quand Léi se pencha pour passer sa main dans ses cheveux, et le repoussa avec violence, bien décidé à ne pas se laisser faire.

Il…. Fulminait !! Tempêtait, éclatait, explosait !! Il le prenait pour qui ce type ? Un gamin de trois ans qu’on amadoue avec un sourire ?! Alors qu’il venait de le traiter de morveux braillard !!

Alors les mots lui vinrent naturellement, ainsi que les gestes. D’une manière plus qu’explicite, il tendit soudain son majeur vers le haut, recroquevillant les autres doigts pour que l’insulte soit suffisamment visible et il tira la langue à celui qui se prétendait être son frère, avant de s’écrier :

« Va te faire foutre, ducon !! »

Et là-dessus, prenant de vitesse la réaction de l’assistance, Luc fit brusquement volte-face et courut en direction de la salle qu’il venait de quitter, bien décidé à ne pas partir avec cet homme ! Son corps semblait retrouver soudain son énergie et sa mobilité, et on aurait eu du mal à croire qu’il venait à peine de s’éveiller quand on le voyait s’élancer avec une telle rapidité vers la salle de réincarnation. C’était même à peine croyable, mais son corps se montrait bien réactif, et cela se préciserait sans doute dans les jours à venir.

Dans tous les cas, les Prêtres le virent s’esquiver avec énergie vers l’autre bout de la salle, continuant de crier à tue-tête :

« Je veux pas, je veux pas, je veux pas, je veux pas…. »

Ils n’avaient pas ressuscité l’homme scientifique auquel ils croyaient avoir affaire… Ils avaient ressuscité une crevure, et beaucoup souhaitèrent bonne chance au pauvre Léi Laa dans leur esprit…

La tête rousse échappa au toucher empreint de fausse affection. Si Sang-Min avait été quelqu’un de normal, il se serait senti légèrement blessé par ce refus catégorique manifesté à son encontre par Luc. Mais il était un tueur dépourvu de sensibilité, il se fichait bien que sa cible se débatte ou non, du moment qu’il était certain de son objectif : la traquer et la tuer. Il était doté d’une patience redoutable, tant pis si cette mission se révélait plus longue et difficile qu’il ne l’avait pensé, il était sûr de l’accomplir.

Le doigt d’honneur du gamin ne le perturba pas, lui qui avait vécu la plupart de sa vie dans des ruelles sordides en compagnie de voyoux ! Il connaissait les gestes de la rebellion, rien ne l’offensait vraiment en son for intérieur. Il devait jouer le rôle d’un grand frère mélancolique et compatissant. Cela restait évident et simple, non ? Alors pourquoi avait-il perdu son sang froid si légendaire, pendant un instant ? Il fallait qu’il se reprenne. Il détestait ne pas maîtriser les choses, particulièrement au sein de son travail.

Lorsque Luc décampa en hurlant, les Prêtres parurent ennuyés. Sang-Min ferma les yeux et prit une profonde inspiration.

« Ne jamais se laisser dépasser par les événements », telle était sa devise depuis tant d’années. Même si la terreur saisissait l’humanité, même si le monde s’écroulait, il devait demeurer, lui Sang-Min, intact et intègre.

Autour de lui résonna le pas pressé de Luc qui s’éloignait, s’enfuyait sans doute instinctivement de cet individu que son essence avait côtoyée le temps d’un trépas. Peut-être que les cellules ressuscitées du scientifique criaient leur méfiance, mises à l’affût par une mémoire dont il subistait quelques braises.

Mes employeurs m’ont prévenu qu’il ne se souviendrait pas forcément de moi, car je ne suis apparu qu’un court moment dans sa vie, et que les choses dont il se souviendrait seraient plutôt essentielles, comme ses géniales formules par exemple... Mais dans ce que je vois là, aucune trace d’intelligence ! C’est juste un ado en crise qui mérite une bonne fessée !

Le point positif, c’était que Luc ne le reconnaisse pas en tant que tueur. On ne sait jamais, cela aurait pu très mal tourner de ce côté-là...

Il ne restait plus qu’à essayer d’amadouer la cible pour qu’elle puisse déployer sa mémoire d’antan. Plus vite cette fichue formule referait surface en elle et plus vite Sang-Min pourrait l’abattre une nouvelle fois, définitivement, pour passer à autre chose. Donc autant faire preuve de la meilleure des volontés.

Il rouvrit les yeux pour apercevoir le dos du garçon qui courait dans le couloir. En un éclair, le Coréen s’élança à sa poursuite avec la grâce et l’efficacité d’une panthère, et le rattrapa sans aucun problème. Afin de stopper la course de cette espèce de petite bête nerveuse, il fut nécéssaire de la heurter sans ménagement et la plaquer contre le mur en appuyant sur ses épaules afin de la bloquer. Pour empêcher le gosse d’utiliser ses jambes vengeresses après s’être retrouvé avec les bras bloqués, Sang-Min lui enfonça doucement mais fermement un genou dans le ventre, juste assez pour lui couper le souffle.

Il se pencha vers lui et lui susurra à l’oreille, d’un ton grave et posé :

- Luc... Tu ne m’acceptes peut-être pas, mais... je suis venu pour toi. J’ai fait des kilomètres rien que pour toi. Et je serai capable de tout, tant que ça te concerne.

Avec quelle simplicité et délectation le tueur jouait ainsi sur les mots !

- Tu as le droit de ne pas me croire. Mais je ne te laisserais pas seul, Luc. On va vivre ensemble, et peu à peu...

Sa voix, dense et suave, ressemblait à une eau nocturne qui s’infiltre sournoisement, qui s’impose par sa polyvalence. En tant que tueur, Sang-Min avait joué plusieurs rôles. Amants, amis, collègues, il avait dupé sans remord afin de mener à bien ses missions. Jamais il n’avait perdu à ce jeu délicat, car son sang froid bâtissait toujours une muraille imparable. Aujourd’hui, il avait semblé qu’une faille était apparue, mais il devait l’oublier avant qu’elle ne prenne trop d’ampleur.

- Peu à peu, tu redeviendras ce Mr Darayan si célèbre que j’ai tant admiré sans jamais oser contacter... Je suis là pour t’y aider, Luc. Et quand tu retrouveras totalement ton identité...

Un mince sourire mystérieux se dessina sur les belles lèvres charnues de l’Asiatique.

- ... nos chemins se sépareront encore.

À moitié Leï Laa le demi-frère désespéré, à moitié Sang-Min le tueur impitoyable... Dans ce regard aiguisé, une infime lueur déséquilibrée pouvait s’apercevoir.

L’adolescent criard et rebelle n’alla pas très loin… Il courait sans trop savoir où il allait, mais dans son esprit enfantin, il refusait d’obéir à ces gens, de suivre cet inconnu qui se prétendait être son frère et dont il ne savait rien. Oh l’adolescent n’était pas méfiant, il était juste… chiant.
Bizarrement, du calme et paisible professeur de chimie, on était passé à un révolté en couche culottes qui entendait bien vivre comme il l’entendait et n’en faire qu’à sa tête. De l’ange, on était passé au diable, sous sa forme la plus… piquante ! Et la plus énervante sans aucun doute.

Même les Prêtres, pourtant habitués à des retrouvailles parfois chaotiques, écarquillèrent les yeux en apercevant la fuite de Luc : ce gamin était un drôle de diablotin et tous leurs regards contrits se tournèrent vers le pauvre Léï qui allait devoir s’en charger. Il existait décidément des gens qui n’avaient pas beaucoup de chance dans la vie…

Ce dernier par contre ne sembla pas se démonter et Luc ne courut pas très longtemps : au bout de quelques mètres, il se retrouva violemment plaqué contre le mur et collé d’un grand frère envahissant qui n’hésita pas à lui couper le souffle avec son genou de manière à l’empêcher de s’enfuir.
L’adolescent se retrouva ainsi bloqué par les épaules, maintenu solidement et sans aucun autre choix que d’écouter l’asiatique qui s’était pratiquement collé à lui dans l’intention de lui expliquer clairement les choses.
Il fronça les sourcils, un instant surpris avant que sa colère ne revienne en force, mais pourtant il écouta celui qui se faisait appeler Leï Laa, un peu estomaqué il est vrai par sa manière brusque d’agir et de clarifier les choses.

Bizarrement un frisson traversa son dos alors que l’homme lui susurrait qu’il retrouverait son identité : sa colère fit place à un étrange malaise, quelque chose de froid en lui qui le désarçonna. Et si l’adolescent révolté n’y fit pas vraiment attention, son inconscient retint parfaitement ce qui était en train de se produire en lui. Il n’aimait pas cet homme qui était soi-disant son frère. Il ne l’aimait vraiment pas ! Il y avait quelque chose de malsain en lui, quelque chose qui dérangeait l’esprit encore trouble de Luc.
Et si son inconscient ne savait pas comment l’exprimer, l’adolescent rebelle sut exactement comment s’y prendre : il allait en faire baver à ce type de toutes les manières possibles et inimaginables ! Il allait lui rendre la vie impossible, l’ennuyer à un tel point que ce type s’enfuirait loin de lui et lui foutrait la paix !
Evidemment son esprit inventif n’imagina pas un seul instant comment il allait pouvoir vivre et se débrouiller sans un adulte à ses côtés : il ne vit qu’une chose, qu’il n’aimait pas cet homme et qu’il allait s’en débarrasser. Coûte que coûte. Parce qu’il réveillait en lui un sentiment qu’il détestait déjà. Un malaise étrange qui le désarçonnait.

Pourtant, il y eut quelque chose dans ses propos qui attira l’attention de l’adolescent. Quelque chose qui surprit Luc et qui fit naître en lui une multitude de questions.

Comment ça, ‘redevenir’ ? Pourquoi allait-il ‘redevenir’ quelqu’un ?
On ne lui avait pas encore expliqué sa réincarnation, ni sa mort et sa vie précédentes. Pour l’instant, l’adolescent ne savait qu’une seule chose : il s’appelait Luc et venait de se réveiller dans un étrange hôpital, où on essayait de lui coller un frère venu de nulle part sur le dos.
Il prit soudainement conscience qu’il ne se rappelait de rien, qu’il n’avait aucune idée de ce qu’il était avant ni sur ce qui se passait vraiment ici.

Il fronça les sourcils, complètement perdu et lança un regard un peu désorienté dans celui de Léï, rabaissant un peu son caquet depuis son réveil :

« Je suis célèbre moi ? Mais pourquoi, qu’est-ce que j’ai fait ? C’est à cause de ça que t’es là, c’est ça ? »

Ses yeux s’agrandirent soudain alors qu’une idée typiquement enfantine passait dans son esprit, et il s’écria :

« Je suis une star c’est ça ? Une vraie de vraie ? Je fais quoi, du cinéma ? Oh non, en fait je suis un chanteur ! Dans un groupe de rock ! Ouais c’est trop la classe !!! »

Et au vu des étoiles qui brillaient dans les yeux de Luc, c'était la meilleure nouvelle de l'année !

Apparemment, les évocations ambigües de Sang-Min parvinrent à semer le trouble dans l’esprit de l’adolescent. Son visage blêmi légèrement, sa voix perdit de son farouche. Alors qu’il avait commencé à déployer de l’énergie dès son réveil, on venait de lui indiquer une faille béante : sa mémoire disparue. Ce fait parut le bouleverser, tout comme il perturbait l’adulte. Se retrouver face à une cible ressuscitée, cela donnait un étrange goût amer ainsi que la profonde frustration d’avoir perdu son temps auparavant. Un travail inachevé, que c’était désagréable ! Voilà qui faisait croître dans l’esprit du tueur une animosité incontrôlable envers Luc Darayan, la personne qu’il avait abattue avec l’indifférence la plus extrême...
Le petit paraissait long à la détente. Sang-Min venait de lui annoncer qu’il avait franchi des kilomètres pour lui, et mais il tint quand même à se voir confirmer ce fait !

Je m’en serais bien passé, de ces kilomètres, moi...

Non, l’heure n’appartenait plus aux regrets. Il fallait aller de l’avant, comme il l’avait toujours fait. Autrement dit : se concentrer au maximum afin de terminer sa mission au plus vite.

Soudain, Luc se mit à émettre des suppositions réjouies sur sa vie passée. Sang-Min resta perplexe. Il ne put s’empêcher d’imaginer, à chaque fois, l’homme d’âge mûr qu’il avait tué en train de poser devant des caméras, ou bien de hurler dans un micro, dansant dans sa blouse blanche... Beurk. Il chassa rapidement ces pensées décalées.

- On peut dire, oui, que tu es une star... Une star de la science.

Il se décolla de lui pour le laisser respirer, mais garda une main doucement et fermement agrippée à son poignet. Impossible pour le gosse de s’échapper de nouveau, avec son corps frêle à peine réincarné il ne rivaliserait pas avec un guerrier entraîné et endurci, surtout qu’il s’agissait du légendaire Dark, auquel les proies en tout genre cédaient perpétuellement.

- Ton nom est célèbre dans le monde intellectuel et scientifique, Luc Darayan. Tu as fait de grandes choses, que je t’expliquerais au fur et à mesure pour que tu t’en souviennes convenablement.

Ses employeurs l’avaient bien briefé à ce sujet. Le tueur connaissait par coeur la vie de sa cible. Ce qui accentuait son malaise devant ce gamin qu’il n’associait pas du tout à l’homme d’avant.

- Je resterai à tes côtés pour t’aider, ne t’inquiète pas. Après tout, je suis ton frère, même si tu me rejettes parce-qu’on ne se ressemble pas et parce-que tu me connais mal...

À cet instant précis, ses fins yeux noirs brillaient de tristesse et il se mordillait avec gêne la lèvre inférieure. Le tueur entrait à la perfection dans le rôle de Leï Laa, et se félicitait des mines compatissantes des Prêtres et des Servants debouts non loin d’eux.

- Monsieur Laa, vous pouvez l’emmener...

Sang-Min hocha la tête, et tira gentiment Luc par le bras pour l’inciter à le suivre. Il avait beau rester calme, il dégageait une autorité glaciale qui ne laisserait pas l’adolescent chercher à s’évader.

- C’est pour ton bien, Luc... Tu as besoin de quelqu’un à tes côtés le temps de te rééquilibrer.

Luc était certes un diablotin, mais... il ne fallait pas oublier que Sang-Min était la Mort personnifiée ! Comment pourrait-elle craindre quoi que ce soit d’un être déjà tombé sous ses coups impitoyables ?

Justement. Le tueur n’était actuellement pas en mesure de s’en apercevoir, mais... inconsciemment, Luc avait profondément mûri davantage par ce passage dans l’au-delà. Et de ce fait, il devenait quelqu’un d’autant plus mystérieux, insaisissable et dangereux. Si pour l’instant il paraissait avoir régressé, le scientifique réincarné gardait sûrement au fond de lui l’empreinte de son trépas, choc indélébile que Sang-Min n’avait jamais expérimenté de lui-même et qui constituait une force en plus pour Luc.

Luc, que les illusions de l’adolescence berçait de stupidité, eut un sacré choc quand son soi-disant frère prononça le mot ‘science’. Il était une star de la science ? Ca existait ça ? En quoi la science pouvait-elle permettre à quelqu’un de devenir célèbre ?

C’était… nuuuuul !! Archi et méga nul !

Aussi quand Léï se décala enfin pour laisser l’adolescent respirer convenablement, une moue de dégoût prononcée se dessina sur le visage de Luc et il ne pu s’empêcher de souffler :

« La science ??? Mais c’est pourri ça ! »

Il lui fallut cependant quelques minutes seulement pour se remettre de ce choc, alors que d’autres questions naissaient en lui, soudain beaucoup plus importantes que le fait de savoir s’il préférait être une star de la chanson ou une célébrité de la science.
Les mots de son frère étaient étranges, il y avait quelque chose qui n’allait pas et une sorte d’alarme intérieure s’était allumée en lui. Une alarme qui le mettait affreusement mal à l’aise.

Le scientifique mourant n’était pas un imbécile, et il avait parfaitement compris pourquoi on l’assassinait : sa formule, obtenue par ses travaux, était dangereuse autant pour l’humanité que pour lui-même. Elle avait provoqué sa perte et son inconscient avait parfaitement retenu la leçon : la science était dangereuse, voire mortelle.

Aussi le déclic s’opéra aussitôt dans le Luc adolescent à qui on évoquait à nouveau la science et les ‘grandes choses’ qu’il avait pu faire. Son esprit rejeta en bloc cette chose qui lui avait déjà fait perdre la vie et qui lui semblait tellement toxique. Elle envoya valser toute idée ou notion se rapprochant de cela et le dépouilla de tout souvenir s’y rattachant afin d’éliminer toute possibilité de mourir de nouveau.
Luc n’eut aucune conscience de cela, simplement il se sentit mal devant le discours de son frère, d’autant plus qu’il n’avait toujours aucune idée du fait qu’on l’avait réincarné et qu’il avait pu avoir une vie auparavant.

Tout à sa perplexité, il ne remarqua même pas que Léï le tenait solidement par le poignet et qu’il ne le lâcherait plus. Il ne remarqua pas sa façon de le tenir, qu’on aurait davantage rapproché de la manière dont un fauve tient sa proie entre ses crocs que de celle qu’un frère pouvait avoir envers quelqu’un de sa famille…

Il leva au contraire un regard perdu vers lui, qui devenait soudain son seul point d’attache en ce monde même s’il avait l’intime conviction de ne pas aimer du tout cet homme, et il demanda :

« Je ne comprends pas. J’suis un gosse, comment je pourrais avoir fait toutes ces choses ? Et pourquoi je ne m’en rappelle pas ? Dis, tu me mènes en bateau là non ? »

Mais pour toute réponse, il entendit le prêtre dire à Léï qu’il pouvait emmener Luc, et l’adolescent se raidit subitement, sentant la chair de poule courir le long de ses bras. L’idée de partir avec cet homme le terrifiait soudain, et l’énervait également au plus haut point. Il ne comprenait même pas lui-même ses propres réactions face à son frère mais il était sûr d’une chose : il le haïssait, tout en le redoutant.
Pourquoi ressentait-il cela, alors que Léï ne cessait de lui dire qu’il ne le connaissait pas ? Il y avait un truc de louche là-dessous et tout en suivant pourtant plutôt docilement l’adulte par rapport à ses débuts avec lui, il fronça les sourcils et demanda :

« Hé, est-ce qu’on se connaissait avant… avant… ben avant quoi ! Avant que j’arrive là ! D’ailleurs, pourquoi j’étais ici ? J’ai eu un accident et j’ai perdu la mémoire c’est ça ? Je pige que dalle là, ça m’énerve un peu… » ronchonna-t-il pour la forme.

Il allait falloir qu’on lui explique très vite ce qui était en train de se passer, sans quoi Luc continuerait à ramer pour un bon moment… Et il n’y avait rien de tel pour l’énerver !

Apparemment, le choc était un peu trop important dans l’esprit du garçon. Sang-Min aurait mieux fait de lui révéler les choses progressivement, comme il l’avait prévu à la base. Cela ne lui ressemblait pas de se montrer aussi pressé. En dépit de son apparence calme, il se sentait profondément perturbé face à ce garçon surgi du néant, cette victime réincarnée. Il savait qu’il devait procéder avec tact, mais il ne parvenait pas à synchroniser ses pensées à ses paroles, et encore moins à ses actes. Pourquoi ? Lui le légendaire « Dark », doté d’une fourberie telle qu’il en avait développé une patience aiguisée.. !

Ça ne va pas... Quelque chose cloche, dans cette histoire... J’ai l’impression que tout menace de m’échapper... C’est vraiment bizarre...

Ce gosse le destabilisait, le fixant ainsi de son regard franc, naïf, d’une innocence toute neuve, une innocence réanimée de l’au-delà... À travers lui, on aurait dit qu’un monde inconnu, surnaturel, regardait ironiquement Sang-Min se débattre avec ses principes.

- La science, ça peut être très utile, tu sais, Luc... Vraiment très très utile...

Il ne parvenait pas à soutenir longuement les larges prunelles brillantes de perplexité. Elles allaient fouiller trop profondément en lui, parmi la poisse sombre qui renfermait tout ce qu’il voulait oublier pour continuer à vivre tranquillement : son pays natal, sa famille traître, sa famille d’adoption, son errance et sa misère, ses meurtres... Tout ce qui l’empêchait de profiter « au jour le jour », Luc paraissait aller le remuer rien qu’en tournant vers lui son visage aux joues rondes, son expression cruellement dubitative.

L’homme finit par se détourner, ébouriffant légèrement sa coiffure tenue par du gel. Il détestait ce costume trop serré dans lequel il devait jouer le rôle d’un frère sérieux et honnête. Pourquoi ressentait-il autant de picotements au niveau du col, pourquoi ses épaules étaient-elles aussi crispées.. ? Jamais il n’avait réagi ainsi pendant une mission. Il avait toujours parfaitement incarné ses différents rôles. Mais là, décidément, quelque chose clochait.

Il entraînait Luc à le suivre, gardant sa poigne agrippée à lui comme la seule façon de garder le contrôle sur la situation.

- Tu as raison, Luc, je te dois de vraies explications... En résumé, tu as eu un accident très grave, qui a changé beaucoup de choses dans ta vie... et dans la mienne.

Ils marchaient dans les couloirs, Sang-Min écoutait attentivement celui de Luc, plus délicat et maladroit.

- Tes parents étaient tous deux de grands chimistes. Au cours d’un voyage en Asie, ton père a eu une aventure avec une femme... Toute sa vie, il n’a jamais su qu’un enfant est né de cette union illégitime. Ma mère m’a toujours répété que mon père était étranger, même si je n’avais pas l’air métis. Elle n’a pas cherché à le contacter pour ne pas perturber leurs vies respectives... En grandissant, j’ai imité ma mère et je me suis interdit de vous rencontrer, ton père, ou même toi mon demi-frère dont j’entendais souvent parler à la télévision...

Sang-Min faisait son maximum pour ponctuer son discours de tonalité dramatique, mimant un feuilleton typique. Il était Leï Laa, le malheureux frère de l’ombre, et il fallait le rester jusqu’au bout.

- Peux-tu imaginer ma frustration, quand j’ai appris que tes parents étaient morts ? Et mon désespoir, quand des années après j’ai vu... dans les journeaux... que Luc Darayan... le scientifique, mon grand frère qui me faisait rêver... venait d’avoir un terrible accident...

Sa voix devint de moins en moins audible, afin de rendre l’effet plus réaliste, comme si l’émotion l’emportait.

- Mais heureusement qu’Eronis existe, Luc... C’est là que, par miracle, tu as été... comment dire... soigné, et tu es revenu à la vie... Ça peut sembler incroyable mais c’est pourtant la vérité, c’est bien toi, je te tiens le bras...

Il se força à lui sourire d’un air mélancolique.

- Moi aussi il ne me reste personne de ma famille... Nous sommes deux frères seuls face au monde, Luc ! N’est-ce pas magnifique ?

Pfiou, comme parler était fatiguant ! Sang-Min préférait les actes aux paroles. Mais il ne pouvait pas négliger l’aspect psychologique de cette mission délicate.

- Maintenant, je veux être là pour toi. Je t’aiderai toujours, tu peux me faire confiance.

Ils franchirent l’entrée du grand centre. Les rayons du jour frappa si brutalement les yeux du tueur qu’ils se mirent à s’humidifier légèrement, ce qui accentua par hasard son air tragique.

Il y avait quelque chose dans le discours de Sang-Min qui aurait effrayé n’importe quel adulte raisonnable. Parler de retour à la vie, d’un passé vécu si différent du présent actuel, d’un changement bouleversant survenu à cette ‘renaissance’… Oui, cela avait de quoi stupéfier et horrifier même n’importe quel adulte sain d’esprit. Il fallait déjà une solide force mentale pour accepter les faits, alors il ne fallait pas évoquer le fait de comprendre ou de ‘digérer’ toutes ces informations…
Mais bizarrement, l’adolescent qu’était devenu Luc Darayan, célèbre scientifique qui venait de déclarer il y avait encore quelques minutes que la science était ‘pourrie’ (dixit le gamin) accepta d’une manière plutôt saine les choses, sans vraiment les remettre en question.

Il était autrefois un scientifique de renom, qui avait perdu ses parents et à qui il ne restait plus qu’un demi-frère. Savoir comment étaient morts ses parents, ce qui avait causé sa propre mort ou encore pourquoi Léï Laa avait mis autant de temps à signaler sa présence n’effleura même pas son esprit. Il y avait quelque chose de terriblement simple et innocent dans l’esprit d’un enfant, quelque chose qui ne demandait qu’à croire pour ne plus se poser de questions.
Et tout comme le fait que les enfants acceptent sans aucun souci que les bébés naissent dans des choux ou des roses, Luc accepta cette version quelque peu ‘fantaisiste’ de la réalité.
C’était un peu irréaliste comme réaction, mais peut-être que le fait de se retrouver ainsi à l’aube de sa vie lui permettait de relativiser les choses : après tout, il gagnait même au change quelques années supplémentaires ! Et il ne perdait rien puisque ses parents étaient déjà morts et que sa vie semblait loin d’être passionnante…

Aussi le brouillard de son esprit s’estompa un peu et il cessa de remettre en question sa présence ici : on l’avait soigné et apparemment sauvé de l’ennui mortel d’être un ‘scientifique de renom’… Beuuuuurk ! Qu’est-ce qu’il lui avait pris de choisir cette profession ? Il ne devait pas être très net avant, mais cela allait changer, foi de Luc !

Par contre, s’il s’était montré plutôt réticent à l’égard de son soi-disant frère depuis le début, la note d’émotion qui ponctua son discours le toucha plus que de raison. Quelque part, tout au fond de lui, une petite voix lui hurlait de ne pas le croire, de se rendre compte qu’il mentait et qu’il jouait la comédie… Sans doute cette voix était-elle celle de l’ancien Luc.
Car le nouveau, encore bien jeune et inexpérimenté, se sentit embarrassé et terriblement mal à l’aise devant la fausse affection de Léï Laa. Et ce sentiment augmenta quand il vit les yeux de son frère s’embuer légèrement, si bien qu’il réagit aussitôt, désirant arrêter cela tout de suite et se sentant incapable de faire face à une crise de larmes, surtout venant d’un adulte :

« Oui oui, d’accord, j’te fais confiance, mais pleure pas hein ? On va rester ensemble, y a pas de souci. Je… Je blaguais tu sais, tout à l’heure, je ne voulais pas vraiment m’enfuir. »

Il eut une petite moue contrite, comme un enfant qui s’excuse de ses fautes, et sa main libre vint naturellement se poser sur celle de Léï pour lui apporter un peu de réconfort.
L’enfant était touchant, même si son discours n’était pas tout à fait sincère : ce n’étaient pas quelques larmes qui allaient lui faire aimer son frère aussi vite, mais elles avaient l’avantage d’avoir calmé un peu le tempérament fougueux du gamin.

Et il offrit un petit sourire à son soi-disant frère avant de pencher la tête de côté :

« Je vais être sage mais toi, tu pleures pas. Ce que tu me racontes, c’est du passé, on s’en fout après tout. On va tout recommencer… ensemble. »

Et il ne croyait pas si bien dire….

La main de l’enfant se posa sur celle de l’homme. Derrière le masque du devoir, derrière l’armure de principes, le cœur de pierre de Sang-Min tressaillit.

En face de lui, cette bouche juvénile crachait des mots insipides : confiance, ensemble…

Lorsque que ses victimes suppliaient, essayaient de l’amadouer en lui offrant de l’argent ou leur corps, Dark leur présentait cette face impeccablement lisse qui leur faisait comprendre qu’il n’existait aucune alternative à leur mort, à sa mission. En détaillant son visage glacial afin d’y chercher une faille, ils se désolaient que cet homme soit aussi intègre et franc dans la voie du Mal, que nulle cadeau ou parole ne puisse le détourner de son devoir. Qui était-il pour arborer une telle inhumanité ? D’où venait-il ? Où irait-il une fois qu’il les auraient achevés ? Souvent, ces interrogations traversaient ses proies juste avant qu’elles ne trépassent. Comme si, saisissant l’imminence de leur sort, elles tentaient de se raccrocher à ce dernier lien avec la vie, cet homme inconnu et insondable, leur bourreau imperturbable. Elles croyaient avoir affaire à un ange de la Mort, tant il paraissait calme à ce moment, tant il ne semblait pas douter de son acte. S’il avait souri, s’il avait insulté, elles auraient compris qu’il n’était qu’un humain, qu’un tueur misérable comme il y en avait tant d’autres. Mais son silence et sa dignité le rendaient presque beau à leurs yeux affolés, sa prestance dominatrice et sombre donnait un sens à leur position de martyrs.

Pour Luc Darayan, ce fut différent. Lorsqu’il avait vu son bourreau, il avait montré une expression si grave, si compatissante… En y songeant, Sang-Min ne pouvait pas s’empêcher de frissonner. L’air du scientifique juste avant de mourir était, elle, remplie de dignité, mais une vraie dignité, celle de quelqu’un qui se sacrifie pour une cause valable. Une véritable mort de combattant. Le tueur s’était senti offensé par ce regard qui prouvait qu’il savait pour quoi il mourait, ce regard qui disait à quel point c’était une erreur, à quel point le monde, les gens, et Sang-Min avec eux, se mettraient en danger après cela. Ce regard âgé mourant, tourné vers le jeune regard vivant, exprimait combien ce geste était absurbe, combien uen bêtise terrible venait d’être accomplie. Face à Luc Darayan, The Dark s’était senti si confusément jeune et ignorant !

Et à présent, les positions s’étaient inversées, le tueur pouvait toiser son ex et future victime avec autorité.
Vraiment ? Pourtant… même devant cette moue enfantine de Luc, Sang-Min avait l’impression d’être encore le plus petit, le plus désemparé.

- Merci, Luc… Tu es vraiment un gentil garçon… Comme je suis heureux de te connaître !

Comme je voudrait te fuir… comme je voudrais que tu disparaisses à jamais… que tu t’effaces pour de bon… Mais sois certain que ce jour est proche !

Sang-Min s’arrêta soudain. Il venait de songer à quelque chose de perturbant…

Quand il avait expliqué aux prêtres son désir de faire ressusciter son « frère », qu’avaient-ils précisé déjà.. ?

« La vie et la mort s’équilibrent, monsieur Laa… Si on prend, il faut aussi donner… Vous qui souhaitez reprendre une vie au Néant, êtes-vous prêt à donner de votre personne ? »

Sur le moment, Sang-Min ne s’était pas formalisé. Ses employeurs lui avaient ordonné d’accepter tout ce que ces gens lui diraient de faire. « Donner de sa personne », il avait simplement pensé qu’il s’agissait de rester veiller l’individu en question, de s’occuper de lui, de payer une grande somme d’argent surtout…

Mais pas d’argent. Les enveloppes fournies par ses employeurs n’avaient servi à rien. Quand il les avaient tendues aux prêtres, ceux-ci avaient souri d’un air mystérieux.

« Et qu’en ferions-nous, monsieur Laa, de ces morceaux de papier ? Le vent peut les disperser, le feu les consumer, l’eau les disloquer… »

« Que voulez-vous, alors ? »

Sang-Min fronça légèrement les sourcils. À bien y réfléchir, il était nettement plus concerné qu’il le croyait pas cette satanée histoire.

Qu’est-ce qu’ils m’ont fait, ces salopards de sorciers ? songea-t-il avec humeur.

Il ne s’agissait que de doutes, mais… il se sentait si étrange aujourd’hui ! Il ne parvenait pas à mettre ce malaise sur le compte du décalage horaire et de la présence de Luc. Il en fallait davantage pour troubler The Dark ! Lui qui avait traqué des proies jusque dans les régions les plus reculées du Pôle Nord… Lui qui avait massacré des familles entières…

- Allons, Luc… On va à la maison.

Il héla un taxi et ouvrit la porte arrière au garçon afin qu’il puisse monter.

- Où allez-vous, monsieur ?

- À Erodas. Vous vous arrêterez rue de la Tulipe Noire.

- Ero… bien, monsieur. C’est loin. Et je fais payer un supplément pour cette zone. Elle craint trop en ce moment. Plein de voyoux qui saccagent les voitures. Je vous lâcherai vite, d’accord ?

Trouillard.

Ses employeurs auraient pu le loger convenablement, dans une belle résidence tout de même ! Mais dans ces quartiers, personne ne viendrait s’aventurer pour mener une enquête. C’était l’endroit idéal pour garder sa future victime, la faire évoluer en secret et lui régler son compte au moment venu.

- Mon appartement est petit, désolé, mon travail ne rapporte pas beaucoup… J’espère que tu t’y plairas quand même. Je ferais tout pour ça.

Oui, Luc Darayan… Je tapisserais ton cercueil définitif avec un soin minutieux… ne t’en fais pas…

[désolée du retard, mais nos derniers posts m'ont réveillé pour revenir jouer ici ^^]

Qu’il soit un gentil garçon n’était pas évident… Non, il ne se sentait pas vraiment gentil, mais l’air tragique de son soi-disant grand frère l’avait touché. Il s’était senti tellement mal, tellement impuissant face à ce qu’il croyait être ses larmes qu’il avait ressenti le besoin de dire quelque chose de rassurant et de confiant, histoire de ramener un peu de joie sur ce visage bien sombre.

Mais le regard que lui lança Léï lui donna l’impression qu’il n’avait pas réussi sa tentative. Quelque chose n’allait pas, il avait une façon de le regarder… qui le mettait presque mal à l’aise par moment. Cet homme était vraiment étrange : autant il était capable de se révéler être le parfait grand frère attentionné, autant parfois, il y avait un détail qui clochait dans son personnage, un tout petit détail qui mettait aussitôt Luc mal à l’aise et lui donnait envie de s’enfuir en courant. Mais il ne parvenait jamais à mettre le doigt dessus, d’autant plus que le détail en question disparaissait aussi soudainement qu’il était apparu.

Il devait se faire des films probablement, imaginer tout cela. Ce type était trop larmoyant et trop mielleux pour ne pas dire la vérité. Il semblait même… un peu benêt parfois.

Ils entrèrent dans un taxi et un peu trop occupé à regarder par la fenêtre la rue et tenter de reconnaître quelque chose, Luc faillit en louper le plus important, à savoir qu’ils se rendaient dans un endroit « qui craignait ». L’inquiétude du chauffeur l’intriguant, il tourna son regard vers son frère qui s’expliquait déjà en lui avouant qu’il n’avait pas beaucoup d’argent.
Luc haussa les épaules et répliqua :

« C’est pas grave. Du moment que j’ai un lit, c’est bon. Hé dis, c’est vrai qu’il y a plein de voyous là où on va ? J’en verrais ? C’est trop cool !!! »

Et Luc s’extasia devant cela comme s’il s’agissait d’un parc d’attraction ! Lui qui avant son accident était d’une sagesse exemplaire, le voilà qui rêvait de voyou et de gang, de casses et de racket, comme n’importe quel ado de son âge, persuadé qu’un peu de baston vous fait entrer dans le monde ‘privilégié’ des grands.

Alors ravi de cette excursion, il se remit à regarder par la fenêtre et guetta attentivement au cas où il n’aperçoive pas justement un de ces fameux ‘voyous’, sans se douter que le pire voyou qu’il puisse trouver était justement assis à côté de lui.

Et plus le taxi s’enfonça dans la ville, plus les quartiers s’assombrirent, révélant une autre facette de l’île, plus noire, plus sale également. Certains immeubles tombaient en ruine, il y avait davantage de mendiants sur les trottoirs et les quelques boutiques qu’on apercevait avaient fréquemment des éclats et des impacts sur leurs vitrines.
Erodas était véritablement les égouts d’Erodis et même le chauffeur de taxi se mit à avoir des tics nerveux, inquiet de croiser une bande un peu trop organisée et intéressée par sa voiture.

Si bien que lorsqu’il s’arrêta dans la rue indiquée, il se retourna rapidement et leur dit :

« C’est ici, maintenant descendez, je suis pressé ! »

La peur suintait par chacun des pores de sa peau mais cela amusa Luc qui descendit en souriant et leva les yeux vers les immeubles de la rue, presque amusé de les découvrir en ruine.

« Hé, c’est complètement pourri comme quartier ici !! » dit-il en totale contradiction avec l’air qui s’affichait sur son visage.